Il pleut à boire debout. Le tonnerre gronde dans le Parc national de la Gaspésie. Je m’endors malgré tout. Soudain, une goutte d’eau en plein front me réveille d’un bond. Je tends la main vers mon iPhone, pour vérifier l’heure qu’il est. Mais c’est dans l’eau que je mets les doigts. Fuck! Il y a des flaques d’eau partout! Ma tente fuit, au beau milieu de la nuit. Tu parles d’un bon timing… Je finis par trouver un coin relativement sec. C’est l’avantage d’avoir une tente cinq fois trop grande.

Je me rendors tant bien que mal, en ayant une pensée pour ceux qui courent encore en plein orage, une vingtaine d’heures après avoir pris le départ du 100K de l’Ultra-trail du mont Albert. Un jour, ce sera mon tour. Mais je dois commencer par le commencement, c’est-à-dire le Skymarathon, dans quelques heures à peine. Au programme : 42K et 2000 mètres de dénivelé positif, des environs du gîte du mont Albert jusqu’au sommet du mont Jacques-Cartier, aller-retour. Ma plus longue distance à vie en trail, huit mois seulement après avoir couru mon seul marathon (sur route).

Départ en trio

8 h moins quelques poussières. La bonne humeur règne sur la ligne de départ, située au beau milieu d’un petit village improvisé en pleine nature. C’est zen. Ça jase. Ça sourit. Le stress semble inexistant chez ces quelque 80 coureurs qui portent presque tous le même sac d’hydratation Salomon. Même à cette heure, il fait chaud en ta pour une course en Gaspésie. Les météorologues prévoyaient un maximum d’une quinzaine de degrés, il y a quelques jours. Il devrait finalement en faire le double. Pas grave. Après la chaleur torride d’il y a un mois au 22K du Xtrail à Sutton, ça devrait aller.

Je suis avec Fanny et Dominic, mes deux partners de course que j’ai rencontrés il y a tout juste deux mois au Club de trail Le Coureur de Sherbrooke. Sébastien Roulier, qui fait aussi partie du club, vient nous saluer. Il a à peine terminé le 100K qu’il courra aussi le 42K, malgré la fatigue. Une impressionnante machine!

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Avec Fanny et Dominic, quelques minutes avant le départ. Crédit photo: Jessy Forgues.

Notre stratégie, à Fanny, Dominic et moi, est simple. On se suivra au début, comme dans nos longues runs du dimanche, histoire de ne pas partir en fou et de garder du jus jusqu’à la fin. Et quand le moment viendra, ce sera chacun pour soi.

On part. Beat relativement relax sur un sentier single track alternant mousse, un peu de bouette et quelques rares cailloux et racines. Ça monte tranquillement.

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On dépasse quelques coureurs, mais comme nous sommes trois, ce n’est pas toujours évident de rester en paquet de trois. On réussit quand même à se suivre jusqu’au premier ravito, aux environs du 8e km, au lac aux Américains. Y’a beaucoup de monde qui nous encourage, c’est cool. Je remplis mes deux gourdes et ma poche d’hydratation. Pas question de manquer d’eau et d’électrolytes, mais pas le temps non plus de vider ce qu’il me reste de liquides avant de faire le plein. Mon restant d’électrolytes au punch au fruit se mélange maintenant à celui disponible au ravito, saveur orange. Dans le bois, on prend ce qu’il y a et on dit merci la vie.

On repart tous les trois sur un large sentier de gravier. Jusqu’ici, ce n’est pas très technique. C’est l’avantage des courses allers-retours. On peut garder en mémoire le parcours qu’on aura à franchir en sens inverse. Les 10 derniers kilomètres pourront donc se courir sur le pilote automatique, ou presque. Le désavantage des allers-retours, par contre, c’est que les bouts roughs, il faut les parcourir deux fois plutôt qu’une.

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Du trio au solo

Arrivé vers le 10e km, je me distancie de Dominic et Fanny un peu malgré moi, sans même les prévenir. Je me sens un peu sauvage, mais bon, tans pis, je m’excuserai plus tard. La montée devient un peu plus abrupte. La course fait place à la marche rapide. Les feuillus font place aux conifères. Ce sera comme ça jusqu’au sommet du mont Xalibu, avec le sentier en terre battue qui se transformera peu à peu en un amas de gros cailloux. La vue, du sommet, est à couper le souffle, sur 360 degrés.

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Du 12e au 15e km environ, ça redescend quelque peu, dans un sentier aux nombreuses racines et passerelles de bois. Cette portion se court plutôt bien. Le parcours remonte ensuite, sans relâche, jusqu’au sommet du mont Jacques-Cartier. Dans cette section, on doit sauter de roche en roche, en suivant les drapeaux orangés. Pas vraiment moyen de courir ici. On se croirait dans la dernière section du mont Washington. Je ne peux pas dire que je raffole de ce terrain de jeu, mais ce n’est pas comme si j’avais le choix!

En route vers Jacques-Cartier… de la neige! Je me fais une grosse boule pour l’écraser dans ma casquette. Je m’en passe une autre derrière la nuque, puis une autre. Jamais je n’aurais pensé pouvoir me rafraîchir de la sorte un 26 juin! Difficile de demander mieux!

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Je croise les premiers coureurs qui redescendent à contresens. Je les encourage chaque fois avec un « good job! » bien senti. Pas de jalousie ici. La compétition, sur la montagne, est quasi inexistante. On a le temps de jaser avec les coureurs qu’on suit momentanément ou pendant de longues minutes. C’est là toute la beauté du trail. J’encourage aussi les coureurs que je dépasse. Ceux qui me doubleront plus tard durant la descente seront tout aussi courtois avec moi, certains me donnant même une tape amicale dans le dos.

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Tout en haut du mont Jacques-Cartier, il faut courir plus de 1 km sur une autoroute de pierre, qui fait penser au désert tellement c’est… désertique.

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L’envie me prend. Je me cache tant bien que mal derrière un inukshuk. Mmmm… Faut vraiment que je boive davantage. Je reprends mon chemin et ça descend longtemps, très longtemps, jusqu’au deuxième ravito. Celui qui marquera la moitié du parcours. Juste avant d’arriver, une première crampe, à l’intérieur de la cuisse droite. Eh merde… Manque d’hydratation, que je disais.

Au ravito, je fais rapidement le plein de liquides. Y’a aussi un vrai buffet : des bretzels, des bonbons, des bananes et même des shooters de Coke. Je me contente d’engloutir quelques quartiers d’orange. Ma montre indique 22 km, et non 21. Ce sera donc plus qu’un marathon…

Le retour

Et c’est reparti en sens inverse. Mon moral est excellent. Ma forme physique l’est (presque) autant. Sitôt reparti, je croise Dominic, puis Fanny quelques minutes plus tard. Ils ne sont pas trop loin derrière. Je suis bien content de les voir. Tout va bien pour eux aussi.

Chaque fois que je croise un coureur, je lui tape dans la main. Pas de compétition, que je disais. On est tous dans le même bateau.

Pour soulager ma crampe, j’enfile une capsule de Salt Stick à croquer. C’est la première fois que j’y goûte. On dit qu’il ne faut jamais tenter quelque chose de nouveau lors d’une course, c’est vrai. Mais quand il te reste 22 km à courir en trail et qu’une crampe t’empoisonne l’existence, tu dis fuck la théorie et tu tentes le coup.

Faut croire que ça a fonctionné parce que j’ai réussi à finir cette course sans trop souffrir. Ça n’a pas été facile, par contre. J’ai pris une autre capsule, puis une autre, et une autre encore, je crois. J’en ai aussi donné une à une coureuse qui commençait à cramper du mollet. Elle ne la trouvait pas drôle. Ça semble avoir eu l’effet escompté.

Quelques coureurs m’ont dépassé dans la descente. J’en ai doublé quelques-uns aussi, mais cette portion est passablement floue dans mon esprit. Pendant des dizaines et des dizaines de minutes (ou est-ce une heure?), j’ai couru seul, en plein milieu des Chic-Chocs. Dans ma bulle, à mettre un pied devant l’autre, tout simplement. Les crampes arrivaient et repartaient, alternant d’une cuisse à l’autre et d’un muscle à l’autre, sans s’annoncer, mais jamais au point de m’empêcher d’avancer. Le sentier descendait, et descendait encore… Je ne compte plus le nombre de fois où mes orteils ont tapé directement dans les grosses roches. Momentanément, j’aurais souhaité porter des caps d’acier. L’avenir me dira si mes ongles d’orteils ont résisté.

Après le dernier ravito, au lac aux Américains, je commençais à avoir hâte d’arriver. Dès que le sentier remontait, les crampes s’amplifiaient si je tentais de marcher. Je continuais donc à courir, un pas à la fois, me foutant éperdument de ma vitesse, me concentrant uniquement sur le fait que, plus j’avançais, plus je me rapprochais de la ligne d’arrivée.

La fin

J’ai finalement terminé cette course au bout de 6 h 30, soit l’équivalent d’une journée complète au bureau. Une époustouflante journée, devrais-je dire! Mon classement? Je m’en foutais pas mal, étant surtout extrêmement fier d’avoir ainsi repoussé mes limites sans jamais perdre le sourire.

Parce que j’ai couru beaucoup plus qu’un marathon. Bien sûr, il y avait deux kilomètres de plus. Du dénivelé, des roches, de la neige, et d’autres roches. Mais il y avait aussi tout ce que je vivais depuis des mois dans ma vie, et dont j’ai su faire abstraction pour vivre le moment présent du début à la fin. C’était beaucoup, beaucoup plus qu’un marathon.

(Pour ceux que ça intéresse, j’ai terminé 26e au total, et 24e chez les hommes, sur un total de 81 coureurs.)

Dominic et Fanny sont arrivés pas longtemps après, eux aussi avec le sourire, la tête pleine de ces paysages à couper le souffle.

Cette première course à trois ne sera pas la dernière. Et nous pouvons maintenant nous vanter d’avoir tous les trois terminé, une fois dans notre vie, une course devant Sébastien Roulier… en omettant évidemment de préciser qu’il avait couru 100 km la veille!

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Crédit photo de l’image principale au début du billet: Chok Images.