Ça doit faire autour de 35 km que je cours avec Fanny. Ça va numéro un. On a passé une portion dite « très difficile ». Ça nous a paru facile tellement notre terrain de jeu à Orford est technique et escarpé. Ça promet pour la suite! On alterne entre un peu de dénivelé en trail et des sentiers forestiers, dans la magnifique région de Charlevoix. Dominic a pris de l’avance à partir du 22e kilo. Comme on l’avait tous les trois prévu.

Soudain, une petite crampe derrière le genou droit. Vite, une capsule d’électrolyte à croquer. Ça avait fait la job à l’UTMA. À la différence que, là-bas, j’avais de l’eau sur moi pour diluer le tout. Cette fois, belle gaffe de débutant. Pour économiser un peu de poids, j’avais pris une seule bouteille de 500 mL sur le devant, plutôt que les deux comme je le fais habituellement, plus ma poche d’hydratation de 1,5 L dans le dos. Dans les deux: juste des électrolytes. Pas d’eau, alors que, normalement, ma deuxième bouteille en est pleine. Fuck… Surtout, ne jamais tenter quelque chose de nouveau en course! Je ne me dompte pas, on dirait… Essayez de diluer des électrolytes avec des électrolytes, pour voir. Ça donne de méchants beaux problèmes de digestion. Au point de ne plus pouvoir manger quoi que ce soit pendant… 25 km. Ça faisait au moins six mois que j’avais réglé ce problème et il fallait que ça recommence au beau milieu de ma plus longue course à vie, le 80K d’Harricana. La joie.

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C’est beau, mais c’est long!

Pas longtemps après un chemin de terre qui n’en finissait plus de finir et le ravito du 42e, j’ai dit à Fanny de poursuivre sans moi. Elle faisait le 65K comme Dominic. Je voyais bien que je n’arriverais pas à maintenir le rythme alors qu’il m’en restait encore la moitié à faire… J’ai donc poursuivi en courant lorsque mon estomac me le permettait, et en marchant par (trop) grands bouts. Le « un pas à la fois » prenait maintenant tout son sens. Je voulais juste vomir, pour régler mes problèmes d’estomac une fois pour toutes et pouvoir enfin recommencer à courir normalement. Ça avait fonctionné à mon premier marathon, 11 mois plus tôt. Cette fois, même avec un doigt dans le fond de la gorge, rien à faire.

Ça a fini par passer vers le 60e kilo, juste avant la ligne d’arrivée du 65 (qui était en fait un 63). Mentalement, je savais pertinemment que ce serait le bout le plus difficile. Parce que les participants du 80 doivent ici bifurquer à gauche quelques mètres seulement avant l’arrivée. Tu la vois, la ligne d’arrivée. Tu te fais encourager par des dizaines de spectateurs en liesse, mais tu ne peux pas la franchir. Pas tout de suite. Il te reste encore à gravir une interminable piste de ski du mont Grands-Fonds pendant 2 km, puis à redescendre pendant environ 15 km dans des chemins forestiers, une trail technique et un large sentier plein de bouette. Quand ton genou droit refuse de plier à plus de 30 degrés depuis je ne sais plus combien de kilomètres, ça ajoute à la complexité de la chose. Et chaque fois qu’un pied s’enfargeait dans une roche, le mollet de l’autre jambe crampait illico. Voyez le topo.

Never give up

À ce moment-là, l’abandon aurait été facile. Mais ce n’était tout simplement pas une option. Ça n’en a jamais été une. Je suis donc reparti vers le haut de la montagne, un pas à la fois, en me disant que chaque pas me rapprochait du fil d’arrivée. Je me suis rappelé une citation de Dean Karnazes:

« Cours quand tu peux, marche quand tu dois, rampe si tu n’as pas le choix, mais n’abandonne jamais. »

Never give up.

Et une autre:

« La douleur est éphémère, la fierté est éternelle. »

Puisqu’il était hors de question de courir pour grimper la montagne, j’ai pu recevoir et envoyer quelques textos à mes proches, ce que je ne pensais jamais faire pendant une course. C’est fou à quel point ça fouette de recevoir des encouragements en direct, même à distance…

 

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La vue du sommet du mont Grands-Fonds. Belle récompense après autant d’efforts pour arriver au sommet.

Tout en haut du mont Grands-Fonds, malgré mon genou en compote, je me suis remis à courir péniblement, en me remémorant Joan Roch qui dit courir malgré la douleur plutôt que marcher, parce que ça permet de souffrir moins longtemps.

 

Une victoire sur tout ça

C’est là que j’ai eu le motton. Les yeux dans l’eau à répétition, submergé par l’émotion. J’allais réussir! Au diable le temps que ça me prendrait. J’allais le franchir, ce fil d’arrivée.

Une victoire extrêmement personnelle après cinq mois et demi passablement mouvementés. Vie personnelle chamboulée. Nouvelles responsabilités au bureau. Et un déménagement deux semaines seulement avant la course, au moment même où je remplaçais ponctuellement mon boss… Une victoire sur tout ça, donc. Et une victoire d’un gars qui n’avait jamais couru plus de 30 km, sur route, un an plus tôt.

Persévérance. Détermination. Ces mots venaient de prendre un tout autre sens. Ce que j’avais jusqu’ici fait de plus difficile dans ma vie n’arrivait pas à la cheville de ce que j’étais en train d’accomplir. Ne me restait plus qu’à franchir le fil d’arrivée. Ce que j’ai fait avec le sourire après 11 h 44 et 2000 m de dénivelé positif, sous les encouragements de mes précieux partenaires de course, Fanny et Dominic. (Pour voir mon arrivée en vidéo, c’est ici.)

En vrac

  • Dans les minutes et les heures suivant la course, il était hors de question d’accroître la distance en 2017, comme je le prévoyais auparavant. Je me disais que j’apprivoiserais les distances de 50 à 80 km avant de continuer ma progression. Quatre jours plus tard, en regardant de magnifiques photos de l’événement, l’émotion m’a encore frappé de plein fouet. La douleur de ces coureurs, et l’immense fierté qui y est associée, je l’ai vécue moi aussi. C’est décidé. Je continuerai ma progression l’an prochain. Et le 125 d’Harricana me tente pas à peu près!
  • Le running gag aux ravitos était de demander aux bénévoles de prononcer la marque des électrolytes qui nous étaient servis. Des électrolytes de la compagnie « Nuun ». C’est ça qui est ça.
  • Ce que j’ai mangé aux ravitos (avant que mon estomac me fasse la baboune): des quartiers d’orange, des quartiers de citron (ça donne un méchant kick!), des chips, des bretzels, des bouts de patate et des shooters de Coke.
  • Quand on court aussi longtemps, il faut parfois arrêter sur le bord de la trail pour un numéro un. Ou un numéro deux. Pas de photo ici.
  • C’est la dernière fois qu’on dormait en camping avant de participer à un ultra.

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    Le soir avant la course, Fanny et Dominic en pleine préparation des œufs McMuffin qu’ils mangeront pour déjeuner. Levée du corps: 4 h. Départ en autobus jaune: 5 h 20. Départ de la course: 7 h.
  • Après avoir pris une pause forcée de course dix jours avant Harricana en raison d’une périostite, j’ai reçu par la poste un manchon en neoprene la veille de notre départ pour Charlevoix. Ça a tellement fait la job que ma périostite semble… pratiquement guérie! Le remède pour soigner une périostite: courir 80 km en trail. Je le saurai la prochaine fois que je me blesserai. Parce que les blessures, comme les inscriptions à ces courses complètement folles, il y en aura d’autres!