Ça fait des heures qu’on avance à pas de tortue dans des chemins forestiers avec un soleil de plomb qui nous tape directement dessus. Notre deuxième jour de fastpacking dans le parc de la Gaspésie et les Chic-Chocs est interminable. Tous les ruisseaux qu’on croise depuis une douzaine de kilomètres sont à sec. Tommie Anne va de moins en moins bien. J’ai beau lui partager le peu d’eau qu’il me reste, ça ne change rien. Elle avoue elle-même qu’elle n’a jamais touché le fond à ce point. Elle prend une pause. Enlève son sac à dos. Pleure un bon coup.

Ouf… Je n’ai jamais vu mon amie dans cet état.

Ok, c’est décidé: à partir de maintenant, je porterai son sac de plus d’une quinzaine de livres et le mien, qui en pèse tout autant. Elle me tient tête et ne veut rien savoir. Qu’importe: c’est non négociable. Il nous reste huit gros kilomètres pour sortir du bois et arriver au village de Mont-Saint-Pierre. Il est hors de question qu’on passe la nuit ici, sans eau et avec des ours dans les parages.

Je prends les devants et je tente de dire des niaiseries pour lui changer les idées, avec un sac de 25 litres sur le ventre (porte-bébé style) et un deuxième sur le dos. Mais s’abreuver de mes niaiseries, ça ne soigne aucunement un coup de chaleur…

Tommie Anne se met à vomir. Se remet à marcher un peu. Puis s’allonge dans ce qui est maintenant un large sentier de motoneige, prise d’étourdissements intenses… Fuck! Ça ne va plus du tout! Houston? We’ve got a real problem…

Deux petites minutes plus tard, miracle! Une auto sort de nulle part. Un bon samaritain et ses passagers acceptent volontiers de nous embarquer pour nous déposer six kilomètres plus loin, au Casse-croûte chez Papi, sur le bord de la 132. On souhaitait initialement passer cette deuxième nuit de fastpacking à la belle étoile au sommet du mont Saint-Pierre. On a finalement dormi dans un petit chalet loué à bon prix. Un baume fort mérité au terme de cette rocambolesque deuxième journée de plan de marde 2.0.

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Soleil de plomb. Ruisseaux à sec. Recette parfaite pour un coup de chaleur.

Un vrai de vrai plan de marde

Au départ, le plan de marde en question était assez ambitieux merci. On souhaitait faire la boucle du mont Albert, puis prendre le Sentier international des Appalaches (SIA) jusqu’au Bout-du-Monde, à Forillon, pour un total d’environ 300 kilomètres. Le tout en autonomie complète, c’est-à-dire en traînant nourriture, matelas de sol, sacs de couchage, réchaud, vêtements, etc, dans des sacs à dos le plus léger possible pour qu’on puisse courir avec. De la rando au pas de course, finalement.

Comme on n’avait qu’une semaine devant nous et que c’était des vacances, on a finalement décidé de couper le kilométrage en deux pour pouvoir y aller au feeling tout en ayant un maximum de fun, sans pression.

Le plan révisé consistait donc à laisser l’auto au village de Grande-Vallée, le long de la 132, et à parcourir les 160 kilomètres et 6000 mètres de dénivelé positif qui nous en séparaient, idéalement en quatre jours.

Ai-je dit qu’on n’avait jamais fait ça avant, à part un test d’une nuit où on avait dormi dans un abri trois côtés? Et je n’avais jamais couru avec mon nouveau sac à dos Ultimate Direction Fastpack 25 non plus. Bravo champion! Et je traînais aussi une fasciite depuis une dizaine de jours… Un vrai de vrai plan de marde 2.0!

Amen!

On a eu le cul béni dès le départ. Mon ami Christian est venu nous chercher à Grande-Vallée et il nous a donné un lift jusqu’au camping du mont Albert, deux heures de route plus tard. C’est là qu’on a réalisé l’ampleur de notre projet… Et que j’ai un peu eu la chienne. L’auto était loin!!!

Mon ami Kév et sa petite famille nous attendaient au camping. Ils nous ont généreusement prêté un bout de leur terrain pour qu’on puisse y planter une tente. Petit luxe avant le grand départ. Belle jasette et beaux moments passés avec des kids fort allumés et drôles à souhait. C’est à ce moment que Tommie Anne a été renommée Tamia. Tamia Rayé. C’est resté.

Jour 1: courir dans la toundra

Dimanche matin. 4 heures. Il fait encore nuit. On se lève sans faire de bruit et on part avec un petit sac à dos. Direction la boucle du mont Albert et ses 1000 mètres de dénivelé positif. Que c’est magnifique! Seuls au sommet, avec le soleil qui s’étire tranquillement. On n’en revient juste pas!

On y a couru dans la toundra et dans des paysages merveilleux qui rappelaient tantôt l’Arizona, tantôt le Yukon. Complètement malade! Mais on avait un peu sous-estimé le niveau technique de cette superbe boucle.

On revient au camping environ cinq heures trente plus tard et avec déjà 17 kilomètres au compteur. On déjeune au gruau pour la première fois (ce ne sera pas la dernière!) et on enfile nos gros sacs. Ouch! Les épaules nous font déjà mal et nous avons soudainement le pas beaucoup moins léger… Pas grave, on est de bonne humeur pareil. Direction le camping du mont Jacques-Cartier, de l’autre côté de la deuxième plus haute montagne du Québec. C’est loin, mais on en a vu d’autres…

Si on avait respecté ce plan de match initial, on aurait parcouru 45 kilomètres et environ 2500 mètres de dénivelé positif pour cette première journée. On a finalement décidé de jouer safe et de prendre une bonne nuit de repos avant le sommet. Un peu plus d’une trentaine de kilomètres et 2000 mètres de D+ pour une première journée, avec une douzaine d’heures passées sur nos jambes, c’était amplement suffisant.

Ce changement de programme nous a permis de rencontrer des gens fort inspirants. Pamela, qui était à mi-chemin de parcourir les 650 kilomètres du SIA. Son amie Véronique, la queen du déshydrateur, venue l’accompagner pendant quatre jours. Et François, un Montréalais qui avait fait la Pacific Crest Trail au complet l’an dernier. Quelles belles rencontres!

Jour 2: (très) beau et (trop) chaud

Lundi matin. L’objectif du jour est de reprendre le temps perdu et d’atteindre au moins le village de Mont-Saint-Pierre, comme prévu initialement, ce qui totaliserait une cinquantaine de kilomètres en une journée.

Au sommet du mont Jacques-Cartier, nous étions seuls au monde. Les nuages se sont dissipés juste à temps pour qu’on puisse admirer les Chic-Chocs sur 360 degrés, à 1270 mètres d’altitude. On a même vu des caribous sur ce toit du monde. Wow. Juste wow!

Après le camping du mont Jacques-Cartier, c’est là que ça a commencé à graduellement se corser. On avait d’abord près d’une dizaine de kilomètres à faire jusqu’au refuge des Cabourons. Trail magnifique mais pas très empruntée au départ, puis chemins forestiers passablement roulants par la suite. Au gros soleil, mais avec des ruisseaux ici et là pour qu’on puisse remplir nos flasques munis de filtres. C’était beau, encore une fois! Et la bonne humeur était toujours au rendez-vous.

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Relaxer les jambes aux Cabourons. À ce moment-là, ça allait encore bien…

C’est après une pause au refuge que le petit cauchemar s’est installé, pendant le demi-marathon qui nous séparait du village de Mont-Saint-Pierre.

Au final, on aura parcouru environ 75 kilomètres et 3000 mètres de dénivelé positif en deux jours.

Au moment d’embarquer dans la voiture du bon samaritain, j’avais en tête de poursuivre l’aventure coûte que coûte, quitte à faire les 80 kilomètres qui nous séparaient de l’auto d’une traite, et seul. Appelons cela une belle bulle au cerveau. C’est là qu’on a réalisé que cette portion du SIA empruntait presque uniquement… des routes! Beurk!!! Non merci! J’ai déchanté d’un coup. Côté planification, c’était un peu raté notre affaire!

Jour 3, 4 et 5: le rebond de Tamia Rayé

Au début du troisième jour, Tommie Anne avait mal à une jambe, vestige du coup de chaleur de la veille, mais le moral était revenu au top! Yeah! On a donc repris le SIA pour se diriger vers le sommet du mont Saint-Pierre, en se disant qu’on ferait du pouce jusqu’à l’auto dès qu’on en aurait assez. C’est ce qu’on a fait dès le village suivant, à Saint-Maxime-du-Mont-Louis, après avoir contemplé deux magistrales envolées de deltaplane juste sous notre nez. Magique, encore une fois!

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Du haut du mont Saint-Pierre.

On aura finalement parcouru 13 petits kilomètres ce jour-là. Une pseudo pause qui aura permis à Tommie Anne de se remettre de son coup de chaleur et de rebondir pas à peu près!

Les deux jours suivants, on a couru pendant des heures et des heures sur le SIA à Forillon, à tripper à fond avec nos petits sacs maintenant allégés et à chanter hyper fort des chansons de Noël et du Diane Dufresne pour éloigner les ours. Du gros bonheur et des vacances de rêve, d’un bout à l’autre! Et plus aucune séquelle de coup de chaleur pour Tamia Rayé.

Au final, j’ai cumulé 166 kilomètres et plus de 6000 mètres de dénivelé positif en cinq jours. Et ma fasciite a complètement disparu. Le cul béni, je vous dis!

Des leçons

Cette longue aventure aura assurément soudé une amitié qui dure depuis maintenant deux ans. Elle nous en a mis plein les yeux, jour après jour. Elle nous a aussi donné le goût de répéter l’expérience… tout en modifiant certains trucs.

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Légères rougeurs aux épaules… Merci au confortable sac à dos!

Le sac à dos, entre autres. Même s’il était allégé au maximum, il manque clairement de rembourrure aux épaules. Si j’avais croisé un magasin Korvette en chemin, c’est clair que j’aurais acheté des brassières cheaps pour y ajouter du padding.

 

La tarp, aussi. À l’origine, on pensait dormir dehors, sans tente, avec uniquement une bâche pour nous protéger des intempéries et de l’humidité. Personnellement, je me suis vite aperçu que je suis plus princesse que je pensais. Vivement une tente, un abri trois côtés ou un refuge.

Courir plus de dix heures par jour. Manger suffisamment. Et dormir sans se stresser, le plus confortablement possible, pour pouvoir récupérer suffisamment en prévision d’une journée similaire le lendemain. En essayant aussi de mieux planifier nos journées en fonction de la distance et du dénivelé qu’on peut parcourir en une journée.

Tout ça, on le saura pour la prochaine fois. Parce qu’il y en aura d’autres!