Pas un, pas deux, pas trois, mais bien quatre litres de Coke. C’est ce qui m’a permis de ressusciter d’entre les morts et de surmonter le QMT 110, samedi.

Dès le départ, lors de la longue montée du Massif à 5 heures du matin, la chaleur n’était pas accablante. Elle était suffocante, rien de moins. Taux d’humidité à 150 pour cent. Peut-être 200. Je n’avais jamais encore eu les bas qui faisaient squick squick sans avoir mis les pieds dans l’eau. Moi qui tolère mal la chaleur, j’en ai eu pour mon argent. Ça rappelait le Nica, serpents et volcans en moins.

Je suis parti un peu trop vite, en compagnie de l’ami Yannick Vézina. On a jasé des grands bouts, mais mon estomac avait de plus en plus de difficulté à suivre sa cadence. L’histoire se répétait, encore une fois. Faut dire que j’avais eu des problèmes de digestion depuis quelques jours, alors avec la chaleur, ishhh… Incapable de manger quoi que ce soit, j’étais sur le bord de la déshydratation. Les crampes aux mollets qui se font sentir après seulement une quinzaine de kilomètres, la pause pipi qui tire plus sur le brunâtre que sur le jaunâtre… Ça sentait l’abandon. L’idée m’a vaguement effleuré l’esprit.

Après une vingtaine de kilos, j’ai dit à Yannick de ne plus m’attendre. Je devais marcher et prendre le temps nécessaire pour replacer mon estomac.

Après un numéro deux pas-pour-emporter, bien en retrait du sentier, je me suis parlé. Qu’est-ce que je fais ici? Pourquoi je cours cet ultra? Pourquoi je m’inflige ça?

J’ai réalisé que je n’avais nullement apprécié le parcours depuis le début. Je me battais contre les éléments. Contre un objectif de temps.

À partir de là, je me suis dit au diable le chrono. Profite du parcours, en fonction de ce que tu peux donner. Vis le moment présent. Et surtout, amuse-toi! C’est pour ça que t’es là. C’est pour ça que tu cours.

La solution ultime en commençant

Au ravito suivant, au milieu du sentier des Caps, j’ai commencé à boire du Coke. Boost de sucre instantané, mais quand tu commences ça, tu dois continuer jusqu’à la fin de la course, sinon tu crashes. C’est donc la solution ultime, que tu repousses le plus longtemps possible. Le genre de solution que tu ne veux surtout pas adopter en tout début de course…

Ça m’avait déjà sauvé la vie, notamment lors de mon 100 miles au BU. Et ça a fonctionné une fois de plus.

L’estomac s’est graduellement replacé. Les jambes sont lentement revenues à elles. Après environ six heures à courir dans des trails hyper techniques, j’ai enfin commencé à avoir du fun. Je suis finalement entré dans « ma zone ». Il était temps!

Je suis alors reparti comme une balle, à l’affût du prochain coureur à rattraper, comme si j’avais un lasso invisible. Ting, en voilà un! Ting, en voilà un autre! Et ainsi de suite. Quelle agréable sensation d’être celui qui dépasse et non celui qui se fait dépasser! Même si j’avais 30 kilos de plus à faire que ceux qui couraient le 80K et qui étaient partis en même temps que nous, je remontais les coureurs des deux distances confondues, un à un. Lentement, mais sûrement.

Au gros ravito de Saint-Tite-des-Caps, où m’attendait ma blonde et des vêtements secs, j’ai fini par manger quelques bouchées d’un semblant de quelque chose de solide. Mais c’est le Coke qui me gardait en vie. On ne change pas une recette gagnante. Après mon passage à chaque ravito, je suis donc systématiquement reparti avec mes trois gourdes pleines : 500 mL d’eau, 500 mL d’électrolytes… et 500 mL de boisson gazeuse.

Au final, j’ai bu 4 litres de Coke. C’est l’équivalent de plus d’une centaine de sachets de sucre. Arrrrrke! Ajoutons à cela autant de litres d’eau, un sachet de Brix, une ou deux barres Naak, deux petits jujubes à la pêche, deux boules de riz, un mini tortilla au beurre de peanut, quelques biscuits au gingembre, des oranges, du melon d’eau et une gorgée de bouillon de poulet. That’s it pour 110 kilos. Surtout, n’essayez pas ça à la maison.

Demandez et vous recevrez

Après avoir traversé la rivière Sainte-Anne en raft et fait quelques kilomètres en escaladant les roches du très technique sentier Mestachibo, des crampes m’ont rappelé l’existence de mes ischios. Pas facile de lever les pieds plus haut que la foulée normale après plus de 70 kilomètres dans les pattes!

Je me suis alors demandé pourquoi l’organisation du QMT n’offrait pas l’option de changer de dossard en milieu de parcours. Ça m’aurait permis d’arrêter à 80 (donc au prochain ravito) plutôt que de faire le 110… Une idée farfelue, je sais bien, mais on ne pense pas seulement à des choses intelligentes quand on court aussi longtemps. Clairement, j’aurais opté pour raccourcir la distance à ce moment-là.

Trente secondes plus tard, vive douleur au mollet gauche. Piqûre de guêpes de terre, deux fois plutôt qu’une. Eh merde! J’avais eu une réaction allergique à une piqûre de guêpe, il y a un mois à peine. Une première à vie. Plaques rouges sur tout le corps, enflure des babines, main qui double de grosseur… Pas le fun.

Soudainement, j’avais une bonne raison d’arrêter à 80. Demandez et vous recevrez, hein?

Wo wo wo. Pas de panique… J’ai mon Epipen, mais je suis beaucoup trop loin pour me faire évacuer si jamais ma situation s’aggrave. Et aucune réaction allergique pour l’instant.

J’ai donc couru encore plus vite, sans cesse à l’affût d’une quelconque réaction allergique. Rien ne s’est passé pendant l’heure qui me séparait du MSA. Aucune allergie cette fois-ci. Je suis finalement reparti du MSA avec mon bon ami Alex comme pacer, juste avant le coucher du soleil.

On a fini ça six heures plus tard, en sprintant comme des malades à moins de 5 minutes du kilo sur le dernier kilomètre.

Pour un gars de 41 ans qui n’a fait aucun entraînement structuré depuis des années et qui s’était préparé en cabochon en prévision de cette course extrêmement exigeante, je suis vraiment content de mon moi-même. Sur 89 coureurs au départ du 110K, seulement la moitié ont franchi le fil d’arrivée. J’ai fini 18e, après 19 h 52 et près de 5000 mètres de dénivelé positif dans les jambes.

Mettons que je suis pas mal fier d’avoir réussi, une fois de plus, à m’accrocher pour me rendre au bout. Papi est encore capable.