Imaginez une course d’environ 80K et 5000 mètres de dénivelé positif dans des sentiers hyper techniques et rocailleux comme c’est pas possible. Juste pour vous rendre à la ligne de départ, vous devrez parcourir près de 6 kilomètres et 600 mètres de D+. À pied, bien entendu.

Sur le parcours, vous aurez droit à de l’eau dans six ravitos. Et à un peu de bouffe si vous êtes prêt à payer quelques dollars et que vous n’arrivez pas trop tard. Temps limite: 24 heures, et aucun cut off en chemin pour savoir si vous êtes dans les temps ou pas. J’oubliais: si vous terminez, vous devrez redescendre 300 mètres de dénivelé négatif jusqu’à votre auto, possiblement en boitant, sur près de 3 km. Le défi vous intéresse? Le White Mountains Hut Traverse est pour vous.

Le parcours, colossal, existe depuis près d’une centaine d’années. Il ne nécessite ni inscription ni dossard. Il consiste à relier les huit refuges de l’Appalachian Mountain Club, dans les White Mountains du New Hampshire. Les règles sont simples:

  • Tu pars le chrono au refuge Carter Notch et tu l’arrêtes au refuge Lonesome Lake.
  • Tu peux emprunter les sentiers que tu veux, en autant que tu passes par chacun des huit refuges. Donc tu peux bypasser les sommets comme si c’était des chicken pass en vélo de montagne.
  • Tu dois terminer, on le répète, en moins de 24 heures.

Précision ici: le premier refuge est situé avant les montagnes de la chaîne Présidentielle (monts Washington, Adams et cie) tandis que le huitième se trouve… de l’autre côté du mont Lafayette. Pour réussir le WMHT, il faut donc se taper la traversée des Présidentielles puis continuer vers Zealand Falls, faire une portion de la Pemi Loop jusqu’au sommet de Lafayette, redescendre jusqu’au camping et remonter jusqu’à l’ultime refuge.

Pour reprendre les mots de l’Appalachian Mountain Club: « Réaliser un tel exploit est déjà assez remarquable. Seul un randonneur déterminé et en superbe condition physique le termine en une seule journée. » En résumé: un défi clairement pas pour les doux, avec juste un cut off au bout, mais des refuges tout le long avec de l’eau, un peu de bouffe à vendre (à condition d’arriver avant la fin de l’après-midi) et de la vie en guise de ravitos. Avouez que c’est tentant!

Le warm up

Le WMHT me faisait de l’œil avant la COVID, mais j’ai dû reporter le projet, pour les raisons que l’on connaît. Fin juillet. Dernière semaine de vacances. Ma blonde a recommencé à travailler. Je n’ai pas les enfants. J’ai une fenêtre de deux jours. Du beau temps. Pas de bobo. Go! C’est le moment ou jamais de tenter le coup.

Comme j’y vais seul, je dois décider si je laisse mon auto au départ ou à l’arrivée. Dans un cas comme dans l’autre, je devrai trouver le moyen de me déplacer. Il y a bien les navettes de l’AMC, mais les heures ne concordent pas, mais pas du tout. Et devoir faire du pouce après une telle épopée, ça ne me tente aucunement… Moins de 24 h avant mon départ, je tente donc ma chance auprès de Maura, une sympathique locale qui offre un service de taxi sur demande. Par chance, elle a de la place le lendemain matin à 6h45, avec deux autres randonneurs. J’ai le cul béni, encore une fois! Ce n’est pas donné, mais ça vaut entièrement le coût.

Je me rends donc en soirée jusqu’à proximité du mont Lafayette, dans le stationnement Old Bridle, où je profiterai d’une excellente nuit de sommeil dans ma van aménagée. Le lendemain matin, Maura passe me chercher pile à l’heure prévue. On ramasse une grand-mère particulièrement en shape et sa petite-fille d’environ 20 ans, qu’on déposera à Crawford Notch après avoir jasé d’un paquet de sujets passionnants.

Au départ… du warm up.

Maura me laisse ensuite au Nineteen Mile Brook Trailhead, sur la route 16, juste au nord du Mount Washington Auto Road. Il est 8h15. C’est un départ… vers le départ! Parce qu’on se rappellera que le Hut Traverse commence au premier refuge, qui se trouve à 5,8 km de là. J’amorce la montée de près de 600 m de D+ vraiment mollo, parce que je sais que le chrono n’est pas encore parti. Le sentier n’est pas trop technique ni escarpé, c’est déjà ça. J’arrive finalement à Carter Notch environ une heure plus tard. Pause pipi. Je règle mes derniers trucs. Prends une photo avec la pancarte annonçant le nom du refuge. Première de huit preuves irréfutables que j’aurai réussi le White Mountains Hut Traverse. Parce que oui, je réussirai. Il est 9h40. C’est un départ. Un vrai cette fois.

De Carter Notch (1) à Madison Hut (2)

Cinq minutes seulement après avoir quitté ce premier refuge, je réalise que ma préparation… laisse vraiment à désirer! Physiquement, tout est beau. J’ai bien récupéré de mes deux précédents ultras, effectués moins de cinq semaines plus tôt, à huit jours d’intervalle seulement (bon, c’est peut-être intense, mais j’aime ça de même!). Mentalement, je me sens top shape aussi. Le hic: je n’ai aucunement étudié le parcours. Par où passer exactement? Combien de temps je dois viser entre chaque refuge pour terminer dans les temps? Dire que j’ai eu des années pour penser à tout ça! Bravo champion!

Je fais un rapide calcul. En visant trois heures en moyenne entre chaque refuge, ça me donne trois heures en banque en cas de pépin. Allons-y comme ça. Anyway, j’ai pas d’autre choix!

Le premier segment, je le connais pour l’avoir monté… quelques minutes plus tôt. De retour à mon point de départ, je sors mon application Maps.me (un must quand on n’a pas de réseau!), pour voir ce qu’elle me recommande pour me rendre jusqu’à Madison Hut. Parce que, non, je n’ai pas téléchargé le parcours sur ma montre. Manque de préparation, que je disais!

Après moins d’un kilomètre d’asphalte, je reprends le bois, vers le haut cette fois, en direction du deuxième refuge. Ça monte tranquillement au début, au point où je me permets de courir. Naïf, je suis! Mon application me dit de prendre Madison Gulf Trail, même si la pancarte me suggère de me rendre au Madison Hut par Osgood Trail… Eh merde… Qui croire? Je regarde rapidement mon application et je semble voir qu’Osgood Trail me ferait passer par le sommet de Madison (ce qui n’aurait finalement pas été le cas). Non merci! Ce sera donc le « raccourci » par Madison Gulf Trail. Ishhhhh! Allô l’escalade qui n’en finit plus! Mais dans quoi je me suis embarqué? Le temps file… au point où j’arrive au Madison Hut après 3h15. Ça commence bien mon affaire! Déjà 15 minutes de « retard » sur mon objectif à la con… Je me paye un bout de gâteau au bleuet que j’ingurgite en vitesse et hop, c’est reparti.

Lake of the Clouds (3) puis Mizpah (4)

À partir de maintenant, je suis en terrain connu et je sais pas mal ce qui m’attend pour ma traversée des Présidentielles en mode chicken pass. C’est « relativement plat » sur la crête par Gulfside Trail, alors j’essaie de courir dès que je le peux en tentant désespérément de ne pas me virer une cheville. En voulez-vous de la roche? En v’là! Je salue le sommet d’Adams à ma gauche, puis le sommet de Jefferson à ma droite. Vient ensuite le petit Clay.

Je passe sous le pont du Cog Railway au moment même où arrive un train et ses passagers qui me saluent de la main. Ils filent vers Washington, que j’éviterai cette fois-ci. Pas le temps de niaiser, j’ai du temps à rattraper! Lake of the Clouds apparaît pas longtemps après et j’y arrive… en 2h15! Oh yeah! Non seulement j’ai rattrapé mon « retard », mais j’ai même pris de l’avance sur mon objectif bidon qui ne veut rien dire! Ça fait 5h30 que je suis parti de Carter et je sais que les refuges ne servent plus de bouffe aux randonneurs de passage après la fin de l’après-midi, donc aussi bien en profiter maintenant pour manger une petite soupe aux tomates et fromage!

Il est environ 15h30 quand je repars de ce troisième refuge. Je demande à une employée si elle sait jusqu’à quand on peut acheter de la bouffe au Mizpah. Probablement 17h, qu’elle me répond. Ishhhh… Ça me laisse pas mal moins que 3 heures! Mais mon application m’assure que ce n’est pas si loin, que ça descend pas mal tout le long et que c’est jouable… Ben coudonc, je l’essaie! Ce qu’on ne ferait pas pour manger une bouchée! Anyway, le pire qu’il peut arriver, c’est que je me vire une cheville et que mon aventure s’arrête ici.

Je file vers Mizpah. Dis bonjour d’en bas à Monroe, Eisenhower, Pierce… Et j’arrive au refuge juste avant 17 h. Yes! Il reste du gâteau à la noix de coco, que j’achète illico. Puis une barre Snickers, que je garderai comme récompense pour plus tard. C’est fou à quel point de ce genre de petite gâterie fait du bien à l’âme pendant un tel défi! Conseil d’ami: traînez-vous toujours quelques billets verts quand vous parcourez les White Mountains et qu’un refuge de l’AMC se trouve sur votre itinéraire.

Zealand (5)

Je redescends vers la route 302 à la vitesse de l’éclair. Ça va bien mon affaire! J’arrive à la gare de train de Crawford, à l’endroit même où j’avais pique-niqué avec ma blonde sous les flocons, en avril dernier. Je la texte avec ma balise GPS. « Rendu à mi-parcours. 38K, 2000 m de D+ en 8 h. Jambes scraps, mais moral A1. » Je vous épargne le reste. Il est 17h30. La moitié du parcours en 8 heures… Je n’en reviens pas tellement j’avance vite! Moi qui croyais être ici idéalement pour le coucher du soleil… À partir de maintenant, je ne pense plus vraiment à mon objectif de trois heures entre chaque refuge et je me dis que je devrais finir ça dans une dizaine d’heures, gros max. Naïf, je suis, je vous l’ai déjà dit!

Je commence ma longue montée vers Zealand. Ce bout-là, je ne le connais pas du tout. Ce n’est pas si technique, heureusement. Une dizaine de kilos plus tard, j’arrive au refuge où je rencontre Timber, un gars vraiment cool qui a lâché sa job et vendu son auto pour parcourir l’Appalachian Trail du nord au sud. Il est parti du majestueux Katahdin à la fin juin et espère se rendre en Géorgie le plus tard possible parce qu’il est beaucoup trop bien en forêt! Il pense que je fais l’AT aussi et me demande si j’ai un surnom de trail. Malheureusement non! Mais juste pour des rencontres du genre et pour avoir un surnom de trail, ça donne vraiment le goût de faire de la longue rando!

Timber enregistre une courte vidéo avec moi pour son compte Instagram. On y jase de souliers Altra et de mon plan de marde du jour. Je me ravitaille en eau, prends une photo avec la pancarte du refuge et, ciao bye, je suis reparti. Direction Galehead maintenant, un refuge que je connais pour y être passé plusieurs fois en faisant la Pemi Loop. Le soleil descend et il sera bientôt temps de sortir ma frontale.

Galehead (6) et Greenleaf (7)

C’est pas mal là que j’ai réalisé que mon objectif de 10 heures pour la deuxième moitié de ma traversée serait probablement hors de portée. Les trails de la Pemi Loop sont déjà très techniques de jour. De nuit, c’est dix fois pire. Ça m’apprendra à ne pas partir plus tôt pour profiter au maximum de la clarté! Mais bon, ce n’est pas comme si j’avais vraiment eu le choix…

J’écoute quelques épisodes de podcast (allô Marie-Ève et Marc-André au QMT! Salut Anne Le Mat et Yannick!) et de la musique pour me changer les idées. Ça n’avance plus assez vite à mon goût, mais au moins, ça avance. Après avoir descendu l’interminable mur de roches dont je me souvenais que trop bien, je prends ma photo à Galehead, 3h15 après avoir quitté Zealand. Tout le monde dort ici. C’est plate!

Peu après avoir dépassé le mont Garfield, je surprends une randonneuse qui a pris le mauvais chemin après Lafayette et qui s’est couchée directement dans la trail avec son chien, incapable de trouver les plates-formes de camping. C’est seulement à 300 mètres d’ici, que je lui dis! Elle n’a besoin de rien et préfère se rendormir entre deux roches. Le gros confort sale.

Je sais maintenant que j’approche, enfin, du sommet de Lafayette. Je sais aussi que cette montée est interminable de jour. Là, je suis dans le brouillard total. Je vois deux mètres en avant de moi. Trois quand je suis chanceux. La trail, on la voit fuck all. Je repère un monticule de roches. Ok, c’est par là. Et j’ai mon application Maps.me pour me dire en temps réel si je suis sur le sentier ou pas. Rien pour avancer en fou, on s’entend. Mais ça avance. C’est tout ce qui importe.

Sommet de Lafayette, que j’ai peine à reconnaître à travers l’épais brouillard. On est au beau milieu de la nuit. Je sais maintenant que c’est dans la poche. Me reste plus qu’à redescendre jusqu’à Greenleaf Hut, où tout le monde dormira là aussi. Et ensuite, je descends Greenleaf et Old Bridle jusqu’au stationnement tant espéré. Une « petite » côte à remonter de l’autre côté de l’autoroute puis bingo, c’est fait! Je regarde ma montre. J’ai en masse de temps pour finir ce trip de fou en bas de 20 heures. C’est l’objectif que ma blonde m’avait mis en tête avant de partir. Et je vais y arriver.

Lonesome Lake (8)

Je n’ai plus beaucoup de jambes, mais j’appuie quand même sur l’accélérateur. Je suis en terrain connu pour avoir couru cette trail plus d’une dizaine de fois, dont la dernière pas plus tard qu’en avril dernier. Toujours de jour, on s’entend.

Après quelques kilos, j’arrive à un gros monticule de roches que je n’avais jamais remarqué auparavant. Je continue sans me poser de question. Mais je trouve ça bizarre… Coudonc, est-ce qu’ils ont réaménagé la trail dernièrement? Je file en direction de l’autoroute 93 alors que je devrais plutôt la longer… Ben voyons! J’ai le cerveau un peu dans les vapes. Je suis de plus en plus estomaqué, mais je ne m’arrête pas pour autant, allez savoir pourquoi! Puis… paf! Je sors de la trail directement en face de l’autoroute et pas pantoute dans le parking où j’ai dormi la veille! WTF? Je suis où?

Je ressors mon application, que j’avais rangée bien loin parce que, tsé, je savais très bien où je m’en allais à partir de Greenleaf Hut. Eh merde! J’ai suivi Greenleaf Trail jusqu’au bout au lieu de prendre la jonction Old Bridle. Je n’avais AUCUN souvenir de cette foutue jonction! J’ai couru trois kilos en m’éloignant du dernier refuge au lieu de m’en approcher! Par chance, les règles du WMHT ne nous obligent pas à prendre un sentier en particulier, donc inutile de revenir sur mes pas…

Je recalibre mon application pour voir la distance qui me sépare maintenant de la ligne d’arrivée: 7 km. Il me reste encore 1 h 20 pour finir en bas de 20 heures. Just watch me!

Je dois faire près de 5 km de piste cyclable et de sentier sur le plat pour revenir au camping, où j’aurais normalement dû arriver si j’avais suivi la bonne trail. Y’a pas trop d’obstacles et les genoux n’ont pas à lever trop haut, donc je réussis à courir en bas de 6 minutes du kilo. Je suis gonflé à bloc. Arrive au camping. Je suis parti depuis 19 h 10. Il me reste moins de trois kilos et une petite montée de 300 mètres pour arriver au bout. C’est encore jouable en bas de 20 heures, que je me dis pas mal en même temps que le lever du soleil.

L’ultime montée n’est pas technique du tout, mais il n’est plus question de courir ici… Mon corps refuse. Ma tête sait que le refuge s’en vient. Enfin.

J’arrête ma montre. 19h39. Job done! Je prends ma dernière photo. Et je force mes genoux ankylosés à bouger, parce qu’il faut maintenant redescendre pour le cool down jusqu’à l’auto!

J’ai des petits yeux, mais un grand sourire. Un autre plan de marde réussi. Et un autre crochet sur ma bucket list.

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