« You’re stronger than you think. » Tu es plus fort que tu penses. C’est le Suisse Daniel Meyes qui me lance ça, avec son accent à couper au couteau.
Nous venons d’amorcer la deuxième montée du volcan Maderas, sur la magnifique île d’Ometepe, au Nicaragua, dans le cadre du Fuego y Agua. Le départ avait été donné sur la plage de Santo Domingo à 3 h du matin. Après 6 km de plage puis de route sur le plat, la première montée de Maderas s’était très bien déroulée. Le soleil n’était toujours pas levé, il faisait encore frais. Bon, je m’étais ouvert le front sur un arbre qui n’avait pas voulu se tasser et ça avait pissé le sang pendant quelques heures, mais pour le reste, ça allait. J’avais suivi une fille pendant une bonne partie de la montée de 1250 mètres de dénivelé. Même rythme rapide et soutenu. J’ignorais alors qu’elle s’appelait Jakeline, qu’elle venait du Guatemala et que je partagerais une bonne partie de cette longue aventure avec elle.
(Ajout: si vous préférez les images aux mots, prenez quelques minutes pour visionner la vidéo qui résume ma course!)
Quand était venu le temps de redescendre de l’autre côté du volcan, ça s’était corsé. Des coulées de boue non stop et des lianes qui te font des jambettes sournoises pendant 4 interminables kilomètres dans des Saucony Peregrine transformés en skis alpins. L’enfer. Mais je m’en étais sorti indemne. Crotté comme jamais, mais indemne.
Cet ultra se déroule dans la jungle, quand même. Avec des serpents, des scorpions et un paquet d’autres bibites exotiques qui peuvent t’attendre au détour. Faut pas l’oublier. Cette particularité s’ajoute à la difficulté extrême du parcours, qui consiste à monter quatre fois deux énormes volcans. Deux monstres terriblement intimidants. Et y’a pas 56 options:
1) ou bien ça monte en fou sur plus de 1000 mètres de dénivelé;
2) ou bien ça redescend tout autant;
3) ou bien c’est sur le plat pendant au moins 6 km, parfois le double.
Puis on répète les options 1, 2 et 3, jusqu’à la ligne d’arrivée. That’s it. Aucun répit pour les groupes musculaires sollicités. Je ne connais aucune autre course similaire dans notre coin de la planète.

Après la première descente de Maderas, une douzaine de kilomètres de route de terre, dans le magnifique arrière-pays nicaraguayen. Puis le ravito de Finca Mystica, au 32e km. Sébastien, un gars de Sherbrooke que j’avais rencontré sur l’île, prend de mes nouvelles. Quand presque tous les coureurs et les bénévoles parlent espagnol sur le parcours, ça donne un méchant boost de voir des visages connus. « On se voit à Concepcion », qu’il me dit. Ok!

On doit remonter le volcan Maderas sur un autre flanc avant de retourner à la ligne de départ, qui marque la mi-parcours du 100K. Je dépasse plein de coureurs qui participent au 25K, soit une montée de Maderas. Certains n’en reviennent pas que je fasse le 100K. Je commence à être du même avis qu’eux.
Mes jambes me rappellent soudainement que je ne me suis pas vraiment entraîné ces derniers mois pour faire une aussi longue distance, avec autant de dénivelé, au Nicaragua, en plein mois de mars, sous la chaleur torride que je tolère habituellement très mal. Les ischios, les quads, ça crampe un brin dans cette deuxième montée, qui s’apparente à de l’escalade par grands bouts.

Daniel me dépasse. Il fait lui aussi partie des 17 coureurs inscrits au 100K. Il me demande comment je vais. Je lui réponds que je pense abandonner après 50K. « You’re stronger than you think. » C’est tout ce qu’il me répond.
Flashback. Début novembre: inscription au 100K. Je suis encore au top de ma forme après des mois de beau temps, toujours galvanisé par ma récente Trotte légendaire. Puis la neige. Le froid extrême. Les -30 degrés qui me coupent toute envie de m’éterniser sur les sentiers. Ma décision de faire « juste le 50 ».
Puis vint le 31 janvier. Après 31 jours consécutifs de course sans repos, pendant une longue run, une idée: si je peux courir un marathon là, maintenant, avec toute cette fatigue accumulée, sans eau et avec juste un gel et un sachet de sirop d’érable, je m’essaie pour le 100K. Au pire, j’arrêterai si ça ne fonctionne pas. Et au diable la médaille. Je m’en fiche complètement. Au moins, j’aurai visité l’île d’Ometepe au maximum de mes capacités.
J’ai réussi mon marathon improvisé. Mais j’ai gardé pour moi ma décision de faire le 100K. Pour éviter la pression. Pour éviter tout risque qu’on remette en doute ma préparation à affronter une course qui, bon an mal an, compte au moins 50 pour cent d’abandons.
Toutes les raisons sont bonnes
Deuxième descente de Maderas. Direction la ligne de départ/arrivée, où seuls les rares coureurs du 100K doivent continuer. Les jambes sont revenues. Mais il ne vente plus. Les zones d’ombres se font plus rares. Il fait de plus en plus chaud, mais c’est encore tolérable.
« You’re stronger than you think… »
« On se voit à Concepcion… »
C’est décidé: je continue.

Mi-parcours. Sébastien est là avec Christian, un autre Sherbrookois. Hélène Dumais, inspirante athlète rencontrée deux jours plus tôt, y est aussi et m’encourage. Je pète le feu. Je souhaitais arriver ici en dedans de 12 heures, soit 2 heures sous le temps limite (cut off). Ça m’en a pris 11.
Je récupère mon drop bag, tente de me rafraîchir quelques secondes dans un lac Nicaragua beaucoup trop chaud, change mes bas, fait le plein d’électrolytes X4 et de barres Fruit 2. Et je repars à la poursuite des fanions blancs qui me mèneront au prochain ravito, 13 km plus loin, après avoir traversé des chemins de ferme et piqué à travers des terres agricoles que je n’aurais jamais eu la chance d’arpenter si je n’avais pas participé à cette course.
C’est là que la chaleur, la vraie, m’est rentrée dedans. Zéro vent. Soleil tapant. Au moins 35, peut-être 40 avec l’humidité. Je me connais: si je continuais de courir, c’était la surchauffe et un abandon assuré. Comme j’avais amplement de temps sous les cut off pourtant serrés, j’ai donc marché. Pendant 13 km. Assez longtemps pour réaliser que le volcan Concepcion était loin en ta. Et encore plus haut que Maderas. Lui aussi, je devais le monter deux fois…

Jakeline me rattrape juste avant le ravito du 63e. On y prend une petite pause. J’en profite pour scruter mes gros orteils. Ils me font atrocement souffrir depuis la deuxième descente de Maderas. Ça cognait à répétition dans le fond de mes espadrilles. Les ongles sont blancs. Mûrs pour se faire arracher? Mmmm… Ça me soulagerait assurément. Je tente le coup. Finalement, non, ils n’étaient pas prêts. Mais comment vais-je faire pour me taper le reste de la run avec des ongles qui me font aussi mal? Abandonner? Peut-être bien. Mais pas ici. Allons jusqu’au prochain ravito, au 70e, et je déciderai là-bas.

En chemin, ça a recommencé à bien aller. Le soleil s’apprêtait à se coucher et il faisait moins chaud. Je me suis dit que je pourrais au moins faire la première montée de Concepcion, histoire de rapporter des roches volcaniques à mes filles. Je commence l’ascension. C’est raide. Des pentes de plus de 30 pour cent par grands bouts. Le soleil se couche. Je suis hyper lent. Moi qui adore généralement les montées, je n’ai aucun plaisir.
Soudain, j’aperçois ce que je crois être un serpent. J’ai la chienne! Mais non, c’est juste un bambou… Faut vraiment que je dorme… Arrive sur une crête. Les bourrasques de vent sont si fortes que je passe près de tomber. Non, c’est décidé. Dès que je redescends, j’abandonne. Pas question de risquer ma vie pour une foutue médaille.

Jakeline, que j’avais éclipsée avant le ravito du 70e, me rattrape. On fait un bout ensemble et on tombe sur Jean-Paul, écrasé dans un buisson, à bout de force. Il se relève et continue avec nous. Soudain, on aperçoit enfin les guides en haut du volcan. Ils nous prennent en photo pour prouver que nous nous sommes bien rendus au sommet. On ne voit strictement rien. Aucune vue pour récompenser nos efforts. Et nous redescendons, chacun à son rythme.
Autant la montée avait été interminable, autant la descente m’est apparue facile. Abandonner? Et si j’essayais plutôt de dormir au prochain ravito? Mon ami Jasmin l’avait fait quand je l’avais pacé sur son 160 du BU en octobre dernier et ça l’avait bien servi. Je déciderai après si j’abandonne ou non.
Dix minutes après m’être fermé les yeux sur le sol de ciment d’une vieille cabane malodorante transformée en ravito, il n’était plus question d’abandonner. Ma première montée de Concepcion m’avait pris quatre heures. Il me restait environ neuf heures pour faire une dernière montée, par un autre flanc du volcan. Même en marchant tout le long, c’était faisable. Vamos!
À partir de ce moment, l’idée d’abandonner ne m’est plus repassée par la tête. Contre toute attente, j’allais finir cette course.
Daniel avait raison
J’ai recroisé Sébastien au ravito du 84e km. Les nuages sont trop bas sur Concepcion et les guides du check point ont dû descendre un peu pour que ce soit sécuritaire, me dit-il. Alléluia!

En mode « marche rapide », je rejoins Jakeline au bas de la dernière montée. Miguel, un autre coureur, est là aussi. On hésite entre continuer tout droit ou prendre l’embranchement à droite. Le balisage est plus ou moins clair à cet endroit. On décide de continuer tout droit. Ça aura été le bon choix. Un peu plus haut, on croise Daniel, Jean-Paul, puis deux filles. Les quatre ont pris le mauvais embranchement et ont perdu un temps fou à chercher les guides sur le volcan. Ce n’est pas notre cas. Un peu plus haut, on voit les guides. Déjà!?! Ça m’a paru hyper facile cette fois! Miguel, qu’on avait attendu dans la montée, repart en fou dans la descente. Je décide de marcher avec Jakeline la dizaine de kilomètres qui nous séparent de la ligne d’arrivée. On échange quelques phrases en espagnol, mais sans plus. Des dizaines de chiens jappent à notre passage.
J’ai peine à y croire. Je vais vraiment finir cette course, après avoir pensé abandonner un nombre incalculable de fois. Ça ne me ressemble pas de vouloir abandonner une course. Probablement parce que mon objectif, au départ, n’était pas de finir, mais bien de me rendre le plus loin possible.
Après 24 heures et demie de course, 100 kilomètres et 5000 mètres de dénivelé positif, je remets enfin les pieds sur la plage de Santo Domingo, Jakeline à mes côtés. Nous arrivons une heure seulement après le premier coureur, ex-æquo au sixième rang global. Je suis quatrième chez les hommes. Trois petites minutes derrière Daniel et la troisième marche du podium masculin. Sur 17 coureurs au départ, seulement 9 finiront cette course à la fois brutale et magnifique.
Je suis un peu éberlué de mon classement, mais honnêtement, ça m’est complètement égal. Juste d’avoir fini, ça me suffit amplement. Car je n’ai JAMAIS accompli quelque chose d’aussi difficile de toute ma vie.
Finalement, Daniel avait raison. Je suis plus fort que je pense.
11 mars 2018 at 12 h 31 min
Wooow, inspirant!!! Bravo bravo bravo!
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11 mars 2018 at 14 h 22 min
Merci!
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11 mars 2018 at 21 h 34 min
Bravo et merci pour ce beau récit très inspirant.
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12 mars 2018 at 19 h 14 min
Merci! 🙂
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12 mars 2018 at 3 h 25 min
Une course hors-norme !!! Ta volonté et tes ressources mentales semblent inépuisables !
Mille bravos, et merci du partage.
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12 mars 2018 at 19 h 15 min
Merci beaucoup! 🙂
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12 mars 2018 at 3 h 53 min
Énorme, quelle aventure. Grand bravo et merci pour pour le partage.
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12 mars 2018 at 19 h 15 min
Merci! 🙂
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12 mars 2018 at 22 h 36 min
Bravo David! Ouf! Toute une épopée! Félicitations pour ta ténacité. Ton récit me donne le goût de me remettre aux longues plus tôt que prévu! 🙂 Bon repos!
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14 mars 2018 at 15 h 35 min
Merci Laurianne! Et tant mieux si ça te donne le goût de revenir plus vite aux longues runs! 😉
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